Assurance-vie : une transmission de capital hors succession
Un cadre juridique spécifique
Le contrat d’assurance-vie est régi par le Code des assurances (article L.131-1 et L132-1 et suivants) et permet, notamment, à l’assuré d’organiser la transmission de son patrimoine dans un cadre fiscal avantageux puisque les capitaux transmis aux bénéficiaires désignés le seront, hors succession (article L. 132-12 du même Code), sauf exception (cf ci-après).
Cela signifie, concrètement, que les capitaux (épargne investie et revalorisations successives) n’entrent pas dans l’actif successoral de l’assuré.
Le contrat d’assurance-vie bénéficie d’une fiscalité avantageuse qui, contrairement à celle du droit successoral, n’est pas liée au degré de parenté avec le défunt.
En effet, le principe du contrat d’assurance vie – et l’un de ses grands intérêts – est celui de la non-intégration dans l’actif successoral de l’épargne investie et revalorisée. Le capital versé au décès de l’assuré échappe aux règles classiques de la dévolution successorale. Il fait l’objet d’une exonération jusqu’à un certain montant et au-delà, d’une fiscalité plus favorable.
Cet atout est particulièrement appréciable dans le cas où le bénéficiaire n’est pas un héritier direct. Dans le cadre d’une succession, les droits sont en effet de plus en plus lourds pour les héritiers éloignés : jusqu’à 55% pour un parent au 4e degré et 60 % pour un tiers sans lien familial.
La règle de la non-intégration connaît deux exceptions :
- l’une est liée à l’âge auquel les versements ont été effectués ;
- l’autre au caractère potentiellement exagéré des versements.
Nous allons les examiner successivement.
La fiscalité d l’assurance vie en cas de décès
La fiscalité applicable aux contrats d’assurance-vie dépend de l’âge de l’assuré au moment du versement des primes : lorsqu’on évoque la transmission hors droits de succession dans le cadre de l’assurance vie, il faut en réalité distinguer selon que les versements ont été effectués AVANT ou APRES les 70 ans de l’assuré.
Régime fiscal pour les sommes issues des primes versées avant les 70 ans de l’assuré.
C’est le cadre de la fiscalité la plus favorable. Le capital et les intérêts issus des primes versées par l’assuré avant son 70e anniversaire sont transmis en cas de décès avec un abattement individuel de 152 500 € par bénéficiaire et par contrat. Au-delà de cette somme, une fiscalité s’applique mais elle est bien plus légère* que le barème applicable en droits des successions. Il s’agit d’un barème progressif :
- taxation à 20% pour la fraction comprise entre 152 500 € et 852 500 €.
- taxation à 31,25% pour la fraction excédant 852 500 €.
Régime fiscal pour les sommes issues des primes versées après les 70 ans de l’assuré.
La fiscalité en cas de décès est nettement moins avantageuse :
- les sommes issues des primes versées après 70 ans font l’objet d’un abattement unique et global de 30 500 €, tous contrats et tous bénéficiaires confondus, qui se partage donc entre eux, en cas de pluralité de bénéficiaire.
- au-delà de cet abattement, ce sont les droits de succession(2) qui s’appliquent, en fonction du lien de chaque bénéficiaire avec le défunt.
NB : les intérêts produits par les primes versées après 70 ans sont exonérés de fiscalité.
Exemples de calcul de l’imposition
A partir d’une même hypothèse de départ :
- transmission d’un important patrimoine financier de 950 000 € représentant l’intégralité du patrimoine.
- clause bénéficiaire désignant les enfants par parts égales en l’absence de conjoint.
CAS 1
2 enfants bénéficiaires
Montant issu des primes versées avant 70 ans (capital + intérêts) : 600 000 € (transmis à part égale à chaque enfant, soit 300 000 € chacun)
- Abattement : 152 500 € par bénéficiaire
- Taxation : 20% de 147 500 € (fraction comprise entre 152 500 € et 300 000 €) = 29 500 €
Chaque bénéficiaire percevra donc :
300 000 – 29 500 = 270 500 €.
Montant issu des primes versées après 70 ans (capital + intérêts) : 350 000 €, dont 50 000 € d’intérêts (transmis à part égale à chaque enfant, soit 175 000 € chacun)
>> Les intérêts n’étant pas soumis aux droits de succession, ceux-ci vont être calculés sur le montant des seuls versements après 70 ans, soit pour chaque bénéficiaire 150 000 €, desquels seront d’abord déduits les abattements :
- abattement global de 30 500 € (réparti sur les 2 bénéficiaires), soit 15 250 € chacun,
- abattement spécifique pour les successions en ligne directe de 100 000 € par enfant.
>> Les droits de succession seront dus par chaque enfant sur 150 000 – 115 250 (abattement total) = 34 750 €.
Ils seront calculés selon le barème progressif suivant(3) :
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Part taxable totale 34 750 €
Tranches
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Tarif |
Droits de successions dus |
| Jusqu’à 8 072€ |
5% |
403,6€ |
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Entre 8 072€ et 12 109€
= 4 037 €
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10 % |
403,7€ |
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Entre 12 109€ et 15 932€
= 3 823 €
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15% |
573,45€ |
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Entre 15 932€ et 552 324€, soit, dans notre exemple jusqu’à 34 750 €
= 18 818 €
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20% |
3763,6€ |
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Total dû : 5 144,35 € |
Chaque bénéficiaire percevra donc, sur les 350 000 € issus des primes versées APRES 70 ans :
115 250 € (abattement total) + 29 605,65 € (34 750 – 5 144,35 € de droits de succession) + 25 000 € (intérêts non fiscalisés)
= 169 855,65 €
Montant total des sommes perçues par chaque enfant bénéficiaire après abattements et taxations :
270 500 € sur les sommes issues des primes versées AVANT 70 ans (capital + intérêts)
+ 169 855,65 € sur les sommes issues des primes versées APRES 70 ans (capital + intérêts)
= 440 355,65 €
CAS 2
2 amis bénéficiaires
Hypothèse : la personne, sans famille, a désigné 2 amis comme bénéficiaires
- Concernant le montant issu des primes versées AVANT 70 ans (capital + intérêts), le calcul est le même que dans le cas vu précédemment pour les 2 enfants bénéficiaires. Chacun percevra, hors intérêts, sur les versements versés AVANT 70 ans 270 500 €.
- Concernant le montant issu des primes versées APRES 70 ans (capital + intérêts), en revanche, les bénéficiaires percevront moins que les enfants du Cas 1. En effet, considérés comme des tiers :
>> ils ne bénéficient pas de l’abattement spécifique de 100 000 € pour les héritiers en ligne directe.
>> et ils sont soumis, au-delà de l’abattement global de 30 500 €, aux droits de succession au taux unique de 60 %.
Calcul sur 350 000 €, transmis à part égale à chacun des deux amis désignés bénéficiaires , soit 175 000 € chacun :
- abattement global : 30 500 € (réparti sur les 2 bénéficiaires), soit 15 250 € chacun
- droits de succession dus par chaque bénéficiaire = (150 000 – 15 250) x 60% = 80 850 €.
Sur ces sommes issues des primes versées après 70 ans, chaque bénéficiaire percevra donc :
150 000 – 80 850 = 69 150 € (sur les seules primes)
+ 25 000 € (intérêts non fiscalisés)
Soit 94 150 €.
Montant total des sommes perçues par chaque ami bénéficiaire après abattements et taxations (hors intérêts) :
270 500 € sur les sommes issues des primes versées AVANT 70 ans (capital + intérêts)
+ 94 150 € sur les sommes issues des primes versées APRES 70 ans (capital + intérêts)
= 364 650 €
Ces deux exemples montrent bien l’importance pour l’assuré, dans le cadre d’une stratégie de transmission, de programmer autant que possible un maximum de versements avant ses 70 ans – et ce, notamment pour des bénéficiaires autres que ses héritiers en ligne directe.
Cas particuliers
- Contrats ouverts avant le 20/11/1991 et alimentés par des primes versées AVANT le 13/10/1998, quel que soit l’âge au moment des versements : exonération fiscale totale.
- Contrats ouverts avant le 20/11/1991 et alimentés par des primes versées APRES le 13/10/1998, quel que soit l’âge au moment des versements : abattement de 152 500.
- Contrats ouverts à compter du 20/11/1991 et alimentés par des primes versées AVANT le 13/10/1998 et AVANT 70 ans : exonération fiscale totale.
Cas des primes manifestement exagérées
Si les montants versés sont disproportionnés par rapport au patrimoine de l’assuré (par exemple, si celui-ci s’appauvrit par un versement qui le prive des revenus nécessaires pour vivre au quotidien), une réintégration fiscale dans la succession peut être appliquée. L’appréciation du caractère manifestement exagéré d’une prime est laissée à l’appréciation des juges, qui prennent en compte plusieurs critères en se positionnant à la date du versement pour estimer si le montant est exagéré :
- L’âge de l’assuré ;
- Sa situation familiale (existence d’héritiers réservataires, conjoint à protéger…) ;
- Ses revenus et son patrimoine global ;
- L’objectif et l’utilité du contrat (correspond-il à un besoin réel : protéger le conjoint, anticiper une situation de dépendance future...) ;
- Le montant et l’échelonnement des versements.
Il n’existe donc pas de définition juridique de « prime exagérée » en tant que telle ; ceci sera donc apprécié, au cas par cas, par la juridiction saisie (en général par l’un des héritiers s’estimant lésé) de la demande de réintégration des sommes versées au regard du contexte spécifique.
Exonérations spécifiques concernant certaines catégories de bénéficiaires
A l’évidence, la fiscalité des successions et celle de l’assurance vie diffèrent fortement. Les deux régimes peuvent cependant entrer en jeu au sein d’une même situation, pour une même personne bénéficiaire. C’est le cas lorsque des sommes ont été versées après 70 ans : la fiscalité successorale prend le relais, au-delà de l’abattement de 30 500 €, et vient réduire les avantages fiscaux des bénéficiaires. Mais simultanément, des exonérations spécifiques au droit successoral peuvent alors rétablir ou préserver ces avantages pour certains bénéficiaires.
Le conjoint et le partenaire de PACS
Rappelons qu’en droit des successions, le conjoint survivant ou le partenaire de PACS (en présence d’un testament) bénéficient d’une exonération totale de frais sur la succession du défunt.
Le droit spécifique de l’assurance vie opère une transposition expresse de cette règle de droit. Ainsi,
par exception aux limitations de l’exonération (taxations au-delà des abattements de 152 500 € et de 30 500 € vues ci-dessus), les capitaux perçus par le conjoint ou partenaire de PACS sont intégralement exonérés, quel que soit le montant transmis et l’âge auquel les versements ont été effectués.
Il s’agit là d’un avantage pour les couples : ce traitement fiscal renforce la protection du conjoint ou partenaire de PACS survivant, en permettant de lui attribuer davantage de droits en pleine propriété, sous réserve que les primes ne soient pas manifestement exagérées.
Les enfants
Quant aux enfants, s’ils ne bénéficient que d’un abattement global de 30 500 € sur les primes versées après les 70 ans de l’assuré, ils bénéficient cependant d’une exonération sur les produits générés par ces primes.
Par ailleurs, rappelons que le droit des successions prévoit pour chaque enfant, à titre individuel, un abattement de 100 000 € en ligne directe avant paiement des droits de succession sur la globalité de la masse successorale. Dès lors, si des enfants héritent d’un parent et sont aussi les bénéficiaires de son contrat d’assurance vie, deux hypothèses :
- Soit le patrimoine transmis dans la succession à chaque enfant est inférieur à 100 000 €. En ce cas, cet abattement successoral de 100 000€ pourra être épuisé en incluant tout ou partie des sommes issues des primes versées sur le contrat d’assurance vie après 70 ans, au-delà de la fraction individuelle de l’abattement de 30 500 € (Rappel : ces sommes sont soumises, non plus au régime fiscal de l’assurance vie, mais aux droits de succession).
- Soit le patrimoine transmis dans la succession à chaque enfant excède 100 000 € et l’abattement individuel de 100 000 € sera alors épuisé en totalité par la succession. En ce cas, les sommes issues des primes versées après 70 ans bénéficient uniquement de l’abattement 30 500 € (abattement global, partagé entre les enfants).
Les frères et sœurs sous conditions
L’exonération intégrale peut aussi concerner les frères et sœurs de l'assuré désignés comme bénéficiaires, s'ils remplissent ces conditions :
- célibataires, veufs, divorcés ou séparés de corps ;
- âgés de plus de 50 ans ou atteints d’une infirmité les mettant dans l’impossibilité de subvenir à leurs existences ;
- résidant, de manière constante, sous le toit de l’assuré durant les 5 années avant son décès.
La clause de désignation particulière de bénéficiaire(s), clef de voûte de la stratégie de transmission
L’importance d’une désignation adéquate des bénéficiaires
Une clause bénéficiaire doit être rédigée avec clarté et précision pour être un outil de transmission patrimoniale personnalisée et efficace adaptée à la situation familiale et aux objectifs de l’assuré. Alors, elle garantit que le capital sera transmis aux personnes visées, conformément à la volonté de l’assuré, sans ambiguïté, ni risque de contentieux entre bénéficiaires et héritiers éventuels et / ou avec l’assureur.
Par ailleurs, il importe pour l’assuré de vérifier régulièrement, en fonction de l’évolution de sa situation, que la rédaction de cette clause est toujours conforme à ses souhaits. Le cas échéant, il peut la modifier pour l’adapter à ses objectifs.
Rappelons que le contrat d’assurance-vie inclut une clause standard. Elle indique que les capitaux en cas de décès seront versés, selon l’une des formules les plus couramment employée, « à mon conjoint non séparé de corps judiciairement, ou mon partenaire de Pacs, à défaut par parts égales à mes enfants nés ou à naître, vivants ou représentés, à défaut à mes héritiers ».
Cas où la clause standard est préférable
Si l’assuré souhaite transmettre le capital constitué aux bénéficiaires ainsi désignés par leurs qualités respectives, il est alors impératif de ne préciser aucun nom, pour éviter tout problème et / ou litige éventuel avec l’assureur qui pourrait être contraint d’attendre une décision des juges pour régler le capital à qui de droit. Par exemple, pour la désignation du conjoint : si la clause est rédigée en mentionnant ses prénom et nom plutôt que sa qualité de conjoint ou en cumulant la qualité et le nom, alors, en cas de divorce ultérieur, et si la rédaction de la clause est demeurée inchangée (en cas d’oubli de l’assuré, par exemple) ce serait l’ex-conjoint qui percevrait les fonds.
Cas où une clause personnalisée est nécessaire
A l’inverse du cas précédent, si l’assuré veut transmettre l’épargne constituée à d’autres personnes (frère, ami…) que celles prévues par la clause standard il est alors nécessaire de préciser prénom, nom, date et lieu de naissance et adresse de l’intéressé(e) et l’éventuel lien de parenté. Par exemple, désigner comme bénéficiaire en le qualifiant de « mon cousin » n’est pas suffisant, même si parmi plusieurs cousins l’assuré n’en fréquente qu’un seul car cette information n’est pas portée à la connaissance de l’assureur.
Une clause floue ou ambiguë soumise à interprétation, ne permettant pas d’identifier précisément le(s)bénéficiaire(s) est source de contentieux et peut entrainer, comme l’absence totale de clause, la réintégration des capitaux décès dans l’actif successoral.
Décès de l’assuré : quels délais pour le versement des fonds ?
- Dès qu'il est informé du décès de l’assuré et qu’il a connaissance des coordonnées du/des bénéficiaire(s), l'assureur doit demander sous 15 jours les pièces justificatives nécessaires au règlement des capitaux décès au(x) bénéficiaire(s) du contrat. S’il n’a pas communiqué la liste des justificatifs dans ce délai, des pénalités sont dues : intérêts du capital portés au double du taux légal pendant 1 mois, puis au triple du taux légal. A noter que l’assureur est tenu de mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour identifier et trouver les coordonnées des bénéficiaires.
- Les bénéficiaires doivent fournir les justificatifs demandés (acte de décès, pièce d’identité, RIB…) dans les meilleurs délais afin d’obtenir le versement des capitaux décès.
- L’assureur dispose d’1 mois à compter de la réception du dossier complet pour effectuer le versement. Si les capitaux n’ont pas été versés dans ce délai, les intérêts du capital sont portés au double du taux légal pendant 1 mois, puis au triple du taux légal.
L’assurance-vie comme levier patrimonial stratégique
Les spécificités du régime de l’assurance-vie par rapport aux règles de droit successoral en font un dispositif incontournable dans le cadre d’une stratégie patrimoniale :
- La fiscalité favorable de l’assurance-vie permet d’accroître la gratification financière des bénéficiaires, en cas de versements des primes avant les 70 ans de l’assuré, puisque les droits de succession ne s’appliqueront pas.
- Elément clé du contrat d’assurance-vie, la clause bénéficiaire rédigée en des termes clairs et non équivoques, favorise une transmission ciblée, assurant la protection financière des bénéficiaires désignés, hors aléas familiaux ou conflits d’héritiers.
Avec le contrat d’assurance-vie, vous disposez d’un outil fiable pour anticiper, orienter et sécuriser la transmission du patrimoine.
(1)Une succession peut être ouverte sans notaire, sous conditions, au regard du patrimoine du défunt (pas de bien immobilier, patrimoine de moins de 5 910 €, aucun testament ou aucune donation entre époux).
(2)Pour rappel, les droits de succession peuvent atteindre jusqu’à 45% entre parents et enfants, et jusqu’à 60% pour des parents au-delà du 4e degré et des personnes sans lien de parenté.
(3)Pour le détail des tranches d’imposition selon le degré de parenté, voir : impots.gouv.fr/particulier/questions/comment-dois-je-calculer-les-droits-de-succession.